Je veux bien entendre qu'il faudrait expliquer plus précisément à quoi servait ce poteau de justice(voir le précédent article), mais je dois reconnaître aussi que le cadre de ce blog n'est pas adapté à ce type d'explication. La justice féodale est compliquée à souhait et les écrits des historiens sur le sujet restent prudents voire évasifs.
Pour faire bref, c'est tout d'abord une justice inégalitaire. Par exemple, les condamnés à mort nobles ont la tête tranchée, les roturiers sont pendus ou étranglés. Quant aux femmes, on a un faible pour le bûcher.
Le droit, le pouvoir de rendre justice s'établit sur plusieurs niveaux: basse, moyenne et haute justice. Ce pouvoir peut être entre les mains d'un seigneur laïc, d'un ecclésiastique ou du roi.
Les tribunaux sont confiés à des hommes de loi qui ont fait des études et qui savent dire le droit. Ces juristes sont nommés par le roi ou par les dignitaires dont on vient de parler.
Viennent ensuite les limites territoriales à l'intérieur desquelles ces droits de justice s'appliquent: depuis la paroisse jusqu'au royaume tout entier en passant par le groupement de paroisses (mais par forcément entières), de provinces (pas forcément entières) etc.
Il faut ajouter maintenant tout l'arsenal des moyens matériels de coercition: le cachot, le pilori, les fourches patibulaires, le poteau de justice etc.
Et tout ça évolue évidemment au cours des siècles...
Alors, que peut on dire sur ce poteau de justice de Saint Martin Lars?
De quel personnage important relevait il?
J'ai repéré deux possibilités: le grande prieur d'Aquitaine de la commanderie de Champgillon qui avait pouvoir de haute justice sur un assez grand territoire, y compris la paroisse de Saint Martin Lars ("en partie") et les titulaires du prieuré de de ce même Saint Martin (c'est à dire les chanoines de la cathédrale de Luçon) qui n'avaient droit qu'à la basse justice.
Ce qui nous amène donc à penser que ce poteau a pu être un outil polyvalent pour strangulation, pendaison, tortures, exposition à la vindicte publique. Mais on sait aussi qu'il a été replanté en 1735 pour indiquer une limite de territoire. Ce qui signifie qu'à cette date, il était délaissé en tant qu'outil de justice. Il n'était plus qu'un symbole de pouvoir réduit, voire un simple marquage de limite.
Nous allons voir maintenant d'autres manifestations de frontières, de justice et de religion dans le même secteur. En partant du Poteau et en empruntant la route qui va au Pouzac (connue actuellement sous le nom de chemin de Boutin à mettre en relation avec le gué de Bouquin que l'on trouve sur le document de 1762).
Sur le cadastre napoléonien de 1828, on repère quatre groupements de parcelles qui portent les noms suivants: le champ de la justice, les justices, le champ de la grosse pierre et le champ de la croix.
Sur le document cité dans l'article précédent (Plan de la paroisse, commanderie, châtellenie de Champ-Gillon...) on remarque des dessins sur le même secteur.
Il s'agit de la représentation de deux croix à l'intersection de deux chemins.
L'une porte le numéro 49 et l'autre, le numéro 50. En référence à la première, on peut lire en légende: "Croix de pierre qui borne la paroisse de Saint Martin Lars d'avec celle de Champ Gillon."
Pour la deuxième:"Croix de bois de mission qui borne la paroisse de Saint Martin Lars d'avec celle de champ Gillon. La première No 49 a été rompue par les habitants des villages de Pouzac, à l'instigation, dit-on , des chanoines de Luçon; il en reste cependant d'anciens vestiges. La 2éme est tombée de vétusté il y a 4 à 5 ans.
L'une et l'autre sont figurées pour marquer leur emplacement; ce qui est d'autant plus essentiel que cela prouve que lorsque la paroisse de Saint Martin s'érigea en 1317, les religieux de de Luçon se bornèrent sur leur terrain d'avec la paroisse de Champ-Gillon érigée en 1130."
Si on synthétise les données des deux plans, on obtient ce schéma:
Ce lieu a donc été fortement marqué par plusieurs symboles au cours des siècles.
Le champ de la croix a conservé le souvenir de cette croix plantée à cet endroit à l'occasion d'une mission sans doute au début du XVIIIéme siècle. C'était important pour une région où le protestantisme avait pu s'imposer pendant des années avant la révocation de l'édit de Nantes en 1685.
Le champ de la grosse pierre où était installée la croix de pierre ne semble pas avoir gardé en mémoire ce symbole catholique. Quelle était donc cette "grosse pierre"? En toponymie, la pierre (la père en poitevin saintongeais) évoque souvent des monuments mégalithiques disparus ou non; on le retrouve plusieurs fois sur le territoire de Saint Martin Lars et très souvent en Vendée. Si c'est le cas ici, il n'est pas étonnant qu'on ait remplacé ce symbole païen par un autre plus politiquement compatible avec la religion officielle.
En revanche, l'histoire de cette croix est un peu confuse si on se réfère à ce que dit l'auteur du "plan de la paroisse de Champgillon". Elle aurait été détruite par les habitants d'un hameau de Saint Martin Lars(Le Pouzac) à l'instigation des chanoines de Luçon! On peut se demander légitimement pourquoi, puisque, toujours selon l'auteur, ce sont ces mêmes religieux qui l'ont érigée à cet endroit pour délimiter la paroisse.
Qu'est ce qui se cache derrière ce récit obscur de destruction d'un symbole religieux? Je pense que la réponse est toute simple; le commanditaire du document est en procés avec les chanoines de Luçon et tout est bon pour les dénigrer, y compris les on-dit.(C'est une histoire annexe et compliquée sur laquelle je reviendrai.)
Le champ de la justice et les justices. Là, encore la toponymie indique clairement l'emplacement d'un exercice judiciaire féodal. Mais lequel?
Les fourches patibulaires réservées à la haute justice de la commanderie sont indiquées à un autre endroit sur le plan.Il doit donc s'agir d'un poteau de justice relevant de Champgillon. Bizarrement, le plan de 1762 ne le mentionne pas. Son ancienneté l'avait il déjà fait oublier? En tout cas, la mémoire populaire et rurale a été capable de restituer ce toponyme aux agents du cadastre en 1828.
Actuellement, cet endroit manifestement chargé d'histoire (et d’histoires) ne retient absolument pas l'attention du randonneur qui aurait l'idée de passer par là.
Les vestiges ont disparu, beaucoup de haies et d'arbres aussi.
En conclusion, voici la photo aérienne de l'endroit en 1945 (bien avant le remembrement). La forme de nos quatre champs est encore inchangée. Celle du champ de la justice avec sa forme triangulaire bien soulignée par une haie ne manque pas d'être singulière dans un tel parcellaire.C'est un indice. L'histoire des hommes ne laisse souvent que ces indices minuscules et éphémères.
Sources :Géoportail site de l'IGN
Gallica: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530634927/f1.zoom.r=champgillon.langFR
Archives de Vendée:Baillage de VouvantBIP PC 16/20
Cadastre napoléonien de Saint Martin Lars