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Une drôle d’histoire que cette histoire là.
Nous sommes le matin du 2 Juin 1836, l’adjoint au maire de Saint Martin Lars est appelé pour dresser procès verbal d’une tentative d’assassinat en plein champ !
L’affaire semble assez importante pour qu’il se déplace avec le garde champêtre et le secrétaire de mairie et que le document soit consigné dans le registre des délibérations municipales. Que s’est-il donc passé ?
Un homme qui s’appelle Marie Bonnet est en train de travailler avec ses deux frères dans un champ situé prés de la Bougrelière.
Vient à passer à proximité, un autre homme qui s’appelle Armand de Bejarry et qui chasse le loup, accompagné de ses chiens. Quand ces derniers semblent se diriger vers un champ de blé, ils sont immédiatement rappelés par leur maitre.
Marie Bonnet, se précipite sur Armand de Bejarry, maitrise le fusil de celui ci d’une main et le frappe de l’autre avec une pielle*, près de l’œil droit, le « bourre » plusieurs fois dans la figure et dans la poitrine. Marie Bonnet ne cesse de frapper que lorsque le domestique d’Armand de Bejarry crie « à l’assassin ! ».
Voilà l’essentiel de ce que dit le procès verbal établi pour »valoir ce que de raison ».(Pour voir le document, allez sur Pages au dessus de l'article
Pour quelqu’un qui connaît un peu les lieux et l’histoire locale, ce fait divers est assez étonnant pour qu’on s’y attarde un peu.
Tout d’abord, qui sont les personnes concernées ?
Marie Bonnet est noté dans les actes officiels comme journalier, cultivateur ou bordier. Il a 36 ans. Il est né à la Croisellerie, »village » de saint Hilaire du Bois, commune qui jouxte celle de Saint Martin Lars. Son père est caillerot, c’est à dire marchand de fruits. Il est marié et père de trois enfants (le quatrième nait le 3 Juin 1836, le lendemain des faits ! C’est une fille qui est prénommée Victoire).
Il habite la Grande Bougrelière (maison qui se situe à quelques centaines de mètres du lieu de l’agression) au moins depuis 1820, date à laquelle il y est recensé avec ses parents et ses frères. Il ne sait pas signer (donc pas écrire) comme nous le signale l’acte de naissance daté du 4 juin.
Armand de Bejarry est également âgé de 36 ans. Il est né au « château » du Puitumé, logis situé à proximité immédiate du lieu de l’agression. Mais il n’y habite pas, car depuis un an, il est propriétaire du château de Châteauroux, situé sur la commune voisine de La Réorthe.Il est officier dans l’armée.Il sera maire de Saint Martin Lars de 1853 à 1870.
Son père est Armand de Bejarry, il a été maire de Saint Martin Lars de 1806 à 1813.
Auguste et Amédée de Bejarry qui se sont illustrés dans l’ »armée catholique et royale » sont ses oncles.
Son cousin, Amédée de Bejarry fait carrière comme sous préfet et auditeur au conseil d’état.
Sa mère est Bénigme de Bernon. Ce patronyme est associé à la vie du territoire de Saint Martin Lars depuis de nombreuses années. Avant 1789, c’était celui des seigneurs du lieu.
Au logis du Puitumé, où habitent Armand de Bejarry (père) et sa femme, il y 9 domestiques en 1836.
Au château de Châteauroux, où vivent Armand (fils), sa femme et leurs quatre enfants, il y a également 9 domestiques cette année là.
Revenons maintenant au procès verbal.
On constate très vite qu’il est écrit dans la précipitation. Le rédacteur (sans doute le secrétaire de mairie) est un peu dépassé par l’importance de l’événement et les formules toutes faites d’un procès verbal ordinaire ne lui suffisent pas. La marge est remplie de phrases complémentaires.
Les trois hommes se transportent « dans un pré » où il y a eu voie de fait, mais il n’y a plus personne dans ce pré.
Faute d’avoir des « renseignements certains » sur l’événement, ils vont donc « chez le dit Bonnet » pour le « sommer au nom de la loi d’exhiber les outils » et ses vêtements, ils constatent qu’il y a »un peu de sang sur une manche de sa blouse ».Ce qui semble suffisant pour le reconnaître coupable puisqu’il n’est pas question d’aveu dans le texte.
En revanche, on lui rappelle la loi : « les voies de fait sont défendues » et là, le texte devient drôle puisque Bonnet répond que « monsieur de Bejarry ne commettait point d’agat*)». On sent bien que le rédacteur veut rester objectif et rapporter les faits de manière claire et dans l’ordre, mais il a bien du mal.
Au delà de la confusion rédactionnelle, on perçoit une différence dans la perception des personnes en cause : Marie Bonnet est « le sieur Bonnet » et « le dit Bonnet » comme dans tout procès verbal, mais les de Bejarry restent « Monsieur de Bejarry père », « Monsieur de Bejarry fils » ou « Monsieur son père ».La déférence au « monsieur » reste de mise.
Mais alors, pourquoi « le dit Bonnet » a t il agressé aussi sauvagement « Monsieur de Bejarry », pourquoi s’est il « permis de voie de fait et d’assassinat « sur lui ? Le procès verbal ne le dit pas.
Reprenons le film de l’événement.
Un paysan de 36 ans travaille dans un champ, en compagnie de ses frères ; il plante sans doute des choux puisqu’il utilise une pielle.
.Un homme bien connu de tous, armé d’un fusil, passe à proximité. On remarque à ce moment que le film est muet : « bonjour not’ maître », « bonjour mon brave », des rires moqueurs, une parole blessante? On ne sait pas car rien n’est enregistré.
En revanche, on voit bien les chiens de chasse qui reniflent le sol avec délectation en s’engageant dans la direction d’un champ de blé seigle. On voit également l’œil du maître soucieux de ne pas endommager la récolte, de ne point faire d’agat. Les chiens sont rappelés à l’ordre.
Et puis, sans raison apparente donc, le paysan, sa pielle en main, se dirige vers le chasseur et son fusil chargé.Celui ci semble tétanisé puisqu’il se laisse saisir son arme et se fait frapper sans avoir le reflexe de l’homme de combat qu’il est censé être.
Le témoignage du paysan selon lequel il aurait été lui même frappé et égratigné n’a pas été retenu car il n’y aucune trace. D’ailleurs, l’authenticité du témoignage ne ferait que confirmer la mollesse de la réaction.
Selon les dires de la victime, l’agresseur ne se serait pas arrêté sans les appels au secours d’un domestique. Ce sont les seules paroles du film.
Chez Marie Bonnet, le paysan, on devine de la haine, tout au moins une colère incontrôlée envers Armand de Bejarry, le monsieur; il est évident que ces images ne sont absolument pas « raccord » avec la mythologie vendéenne selon laquelle les paysans et leurs maîtres vont main dans la main en ce début du XIXème siècle et même bien avant.
Est-ce la haine du pauvre envers le nanti, du travailleur envers le rentier ou autre chose ?
Entre ces deux hommes, n’y aurait il pas un contentieux terrible que Marie Bonnet aurait décidé de régler à la première occasion ? Ils ont été voisins et peut-être depuis très longtemps, car on ne connaît pas la date à laquelle les parents de Marie Bonnet ont quitté la Croisellerie pour venir s’installer à la Bougrelière.
Et dans le procès verbal, « le son » n’a t il pas été oublié intentionnellement ? Par déférence ou par négligence. Ce n’est pas l’accusé qui va le vérifier, il ne sait pas lire.
Deux jours après, en bon père de famille, Marie Bonnet va déclarer la naissance de sa fille Victoire à la mairie de Saint Martin Lars.Contre toute attente, il n’a pas été arrêté.
Il mourra à La Leue, commune de la Reorthe en 1864 où il est venu s’installer vers 1846.
La Leue n’est pas très loin du château de Châteauroux !
Le logis du Puitumé en 2005...
et photo plus haut: plan cadastral du Puitumé et des lieux de l'événement (1828)
*pielle : sorte de petite houe avec un manche court qui sert surtout de plantoir à choux (photo ci dessous)
*agat : dégât dans le champ du voisin. Cf. article Incivilités rurales
Sources : Archives départementales de la Vendée
Archives numérisées : Délibérations municipales de Saint Martin Lars mai 1829 sept 1867
Vues 37 et 38
Etat civil de Saint Martin Lars, de La Reorthe, de Saint Hilaire du Bois.
Recensement de population de Saint Martin Lars, de La Reorthe
Beauchet Filleau : Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou
Guy de Raignac : De châteaux en logis
photos de l'auteur